Situation sécuritaire : On parle de l’hydre terroriste sans en tirer les implications stratégiques

L’universitaire à la retraite et auteur, Youssoufou Ouédraogo, livre son analyse sur la situation sécuritaire.

L’expression « hydre terroriste » est apparue après les attentats du 11 septembre 2001 aux États-Unis, dans un discours de George W. Bush prononcé devant le Congrès américain. C’était le 20 septembre 2001. Depuis lors, elle est régulièrement utilisée pour désigner les réseaux terroristes. Si les grandes puissances en ont tiré les conséquences opérationnelles dans leur approche du phénomène (frapper les têtes des réseaux d’une façon ou d’une autre, et coûte que coûte), apparemment il n’en va pas toujours de même, comme approche préméditée, dans nos pays.

L’expression est juste utilisée en routine sans une claire conscience et attention sur des implications attendues dans l’appréhension du phénomène terroriste : (1) comme comparable à l’hydre de mythologie (grecque), un monstre à neuf têtes que Hercule a fini par vaincre avec l’aide de son neveu (il fallait couper la tête « immortelle » et la brûler avant qu’elle ne regénère), ou (2) à l’hydre biologique dont quelques caractéristiques sont résumées ci-dessous.

L’hydre est un animal mortel mais réputé « immortel », avec une reproduction par bourgeonnement, à l’identique et par voie sexuée. Lorsqu’on lui coupe la tête, les tentacules (ou appendices) ont encore une certaine autonomie de survie suffisante pour en régénérer une autre, de remplacement. Lorsqu’on la découpe en morceau, chaque morceau est capable de reconstituer une hydre entière. Dans tous les cas, c’est un animal dont toutes les cellules sont remplacées chaque 1 à 2 mois environ, de sorte qu’il n’y a pas de senescence fatale. Il est puéril et vain de s’acharner contre des tentacules car, de toute de toute façon, ils repousseraient après chaque « amputation ». Plusieurs milliers de facteurs génétiques participeraient à la régénération de l’hydre.

En situation normale, l’animal a besoin d’environ 72 heures pour se faire pousser une tête qui deviendra une nouvelle hydre. Mais lorsqu’il s’agit d’une tête de remplacement, cela ne prend plus qu’environ 48 heures. Les recherches actuelles tentent d’identifier des « interrupteurs » du génome qui empêcheraient la repousse de nouvelles têtes. Et cela nous intéresse contre l’hydre terroriste.

Cela étant, « On doit comprendre et intégrer le fait qu’aucune dissuasion ne marche avec les terroristes, pas plus que leurs cinglantes défaites et débandades à chaque affrontement direct. Ça nous rassure temporairement, mais ces « choses » n’ont de sens, ni à leurs yeux de combattants, ni dans l’esprit de leurs survivants au cas où. Ces derniers, comme des zombies, sont toujours prêts pour repartir à leur « combat », et la mort, une banalité en bandoulière, une moindre chose pour la plupart d’entre eux… En clair, on a beau les anéantir, il en reviendra toujours… » (« Leçon se Solhan, sous la mousse », juin 2021 dans Burkina 24).

Lorsque pendant la seconde guerre, les avions kamikazes japonais sont rentrés en action, les américains se sont retrouvés « conventionnellement » impuissants. Il fallait arrêter le phénomène par le niveau stratégique de la prise de décision : d’où le largage de la 1ère bombe atomique, suivi de la seconde. Et le Japon capitula sans condition. Evidemment, la réalité historique est plus complexe. Mais au contraire des dirigeants japonais de l’époque, et de tout autre dirigeant de pays, les chefs terroristes ne capituleront jamais pour cause de nombre de morts élevé dans leurs rangs ; ils s’en « fichent » éperdument. C’est en cela qu’ils sont particuliers, « incompréhensibles » pour nous.

 » L’incertitude, c’est que tout laisse croire
qu’aucun pays du Sahel ne peut réussir
seul, à accéder et décapiter ces têtes
d’hydre, parfois localisées hors du Sahel « 

Dans une telle situation, pour gagner stratégiquement la guerre, à notre échelle (Sahel) il faut détruire le niveau stratégique d’impulsion idéologique et de décision, il faut couper les têtes d’hydre du terrorisme, puis « gérer » les résidus tentaculaires périphériques. C’est cette approche qui, en gros, a été utilisée (et se poursuit) à l’échelle mondiale contre Al-Qaïda et DAESH, tous décapités à au moins deux reprises par les USA et leurs alliés (le deuxième chef de DAESH a été traqué jusqu’à auto-explosion par la Turquie en 2022). Ce fut la même approche que la Russie a utilisé face au terrorisme en Tchétchénie où la « tête » a été recherchée par satellite et abattue par missile. Je passe les détails.

Ce qui sévit chez nous (et au Sahel) ce sont donc des « tentacules » périphériques des réseaux mondiaux décapités, mais avec une autonomie vitale ayant permis de bourgeonner de nouvelles têtes par-ci, par-là (principalement deux, en ce qui concerne ceux qui attaquent notre pays). Ces dernières se sont appuyées et se sont nourris (se nourrissent toujours) d’initiatives locales « bourgeonnées » par les problèmes de gouvernance (fourre-tout en mal) à l’intérieur des différents pays. Autant le dire, un phénomène insatiable, pouvant toujours prétexter ou donner justification à toutes sortes d’impostures et d’aventures.

La question est, à notre échelle (Sahel), comment accéder à ces têtes d’hydre pour les décapiter ? Autrement, il y aura toujours des zombies combattants après nous, et nous, à leurs trousses. Et comme « fraîchement » découvert par le chef de la Transition, « ils sont nombreux ».

L’incertitude, c’est que tout laisse croire qu’aucun pays du Sahel ne peut réussir seul, à accéder et décapiter ces têtes d’hydre, parfois localisées hors du Sahel semble-t-il. L’alliance Mali-Burkina, non plus ; encore moins si cette alliance s’aliène, directement ou indirectement, la confiance et la franche collaboration des autres pays du Sahel.

Et pour les partenaires les plus bienveillants du moment (contre espèces sonnantes et trébuchantes, il faut le rappeler), il ne faut pas se bercer d’illusions éternelles. La lucidité commande qu’on anticipe au moins une chose : il y aura un plafond qu’ils ne franchiront pas le moment venu, forcément, selon les rapports d’intérêts pour leur pays et ceux d’enjeux mondiaux. Exactement comme les français au Mali lorsqu’il a fallu combattre les rebelles Touareg, ou dès lors qu’ils avaient « verrouillé », via Barkhane puis Sabre, leur dispositif anti-Califat au Sahel.

Pour terminer, je m’accorde avec ceux qui pensent qu’on ne peut pas traiter (ou laisser traiter) des pays entiers de « complices de terroristes », voire de « terroristes », appeler (ou laisser appeler) au renversement de leur régime, et espérer leur accompagnement loyal en quoi que ce soit.

Youssoufou Ouédraogo

yissfu@gmail.com

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