Introduction
Les « diaspos », dans le jargon burkinabè, désignent généralement nos compatriotes revenus de Côte-d’Ivoire. Ce sont des concitoyens issus de la diaspora burkinabè, d’où le diminutif « diaspo ». Les jeunes sont massivement arrivés au pays, sous la Révolution (dans les années 1980), au moment où était imposé le baccalauréat probatoire en Eburnie. En outre, la scolarité était beaucoup plus abordable au Faso. La dégradation de la situation politique dans ce pays avec l’ « ivoirité » et la guerre déclenchée en 2002 ont amplifié le mouvement de retour de nos concitoyens dans leur pays d’origine ou celui de leurs parents. Ce ne sont plus seulement des scolaires qu’on venait inscrire dans les écoles ou les universités, mais des familles entières qui rentraient, temporairement pour certains, définitivement pour d’autres.
Il est injuste de ne traiter de « diaspo » que ceux qui sont venus de Côte-d’Ivoire. L’appellation peut s’étendre aux travailleurs immigrés burkinabè qui ont séjourné des années durant hors du pays, soit en Europe (Italie, France, etc.), soit dans d’autres pays africains (Ghana, Mali, Sénégal, etc.), soit aux enfants des diplomates nés et grandis dans les pays où leurs parents étaient en poste. Acceptons cependant de ne traiter que des « diaspos » de Côte-d’Ivoire parce qu’ils sont les plus nombreux et les plus en vue au Burkina Faso.
Le regard des Burkinabè sur les « diaspos »
Cela fait des années que le problème de ces compatriotes se murmurait dans plusieurs milieux. Ce fut d’abord au niveau de l’éducation, les collèges, les lycées, mais surtout à l’université où on critiquait leur comportement et leur imputait la violence qui avait fait irruption dans les établissements lors des manifestations.
Les administrations (justice, finances, etc.) ont pris le relais. A entendre les personnels de ces départements ministériels, tout le mal qu’ils connaissent a pour principale origine les « diaspos ». Après les événements douloureux que le pays a vécus en début 2011, ils sont fortement pointés du doigt dans l’armée. Les « diaspo » paraissent être ceux qui ont cassé, violé et pillé ou qui ont encouragé ce genre d’attitudes (ce qui est loin d’être confirmé). A la limite, on leur dénie presque le droit d’être Burkinabé.
Si on n’y prend garde, cette question peut engendrer des drames insoupçonnés. Se sentant agressés et rejetés (alors qu’ils le sont en Côte-d’Ivoire), ils peuvent avoir des réactions qui risquent de jeter le pays dans la tourmente. La tragédie que nos voisins ont vécue, à cause de l’exclusion d’une partie de la population, n’arrive pas qu’aux autres. Le communautarisme n’a jamais été positif ; il conduit généralement au repli sur soi, à la peur, à l’amplification des problèmes et à la violence.
Cette dérive possible impose que l’on se penche sur la problématique afin de l’aborder de manière saine et sereine. Cela parce qu’ils sont déjà nombreux et le seront de plus en plus.
Ce problème est à notre avis principalement une question d’intégration. En effet, ceux qu’on nomme « diaspo » ont grandi dans un contexte sociopolitique, économique et culturel différent. Il est tout à fait normal que leur comportement ne soit pas le même que celui de ceux qui ont grandi au pays et que leur approche des problèmes soit différent. Ils se reconnaissent dans des valeurs qui ne sont pas toujours les mêmes que celles inculquées aux jeunes du Faso. Même au pays, les ressortissants des différentes régions ont des différences d’appréciation des questions et des modes de vie qui ne sont pas uniformes. Un Bobolais se sent souvent différent d’un Ouagalais. C’est ainsi que l’on entend dire à propos du comportement d’un individu : « c’est un « boboaga » ou c’est un « moaaga ». Cela ne crée pas pour autant de l’animosité ou un rejet de l’autre. Pourquoi alors accuser les « diaspos » de tous les péchés d’Israël et pourquoi l’ostracisme dont ils sont l’objet ? De quoi les accable-t-on généralement ?
Pour le commun des citoyens, ils sont « gonflés », « impolis », ils sont la cause du développement de la corruption au Faso ; ils sont violents ; lorsqu’ils occupent un poste de responsabilité ils ne recrutent avant tout que les leurs, bref, ils ne sont pas comme ceux restés au pays qu’ils nomment les « tenga » ou les « gaous » selon l’expression de certains d’entre eux, c’est-à-dire des personnes peu éveillées à la vie moderne.
S’agissant de la corruption il faut dire qu’elle a existé, qu’elle existe au Burkina Faso et ce n’est pas le fait des seuls « diapos ». Elle est présente aussi au niveau des « tenga ». Les Tribunaux populaires de la Révolution (TPR) ont révélé l’ampleur du phénomène dans le pays. Les « diaspos » n’y étaient pas nombreux. Autant ce ne sont pas tous les Burkinabè restés et grandis au pays qui sont des corrompus et des corrupteurs, autant les « diaspos » regorgent de citoyens honnêtes et corrects. Aucune statistique ne prouve que c’est dans le milieu des « diaspos » que l’on compte le plus de corrompus ou de corrupteurs. Il existe des « pourris » dans tous les milieux.
Le fléau doit être combattu partout où il apparaît. « Diaspos » et « tenga » corrompus et corrupteurs doivent être des cibles à abattre au même titre car, leurs indélicatesses gangrènent la société et nuisent autant à l’économie du pays. Du reste, la corruption relève de la gouvernance économique, politique et administrative des pouvoirs publics. C’est dire donc qu’elle ne peut être imputée à une certaine catégorie de la population.
Quant à la violence, surtout dans les luttes scolaires et universitaires, force est de reconnaître que cette pratique était absente des manifestations des étudiants et des élèves. Pourtant, Dieu seul sait combien de luttes les scolaires et étudiants de la Haute-Volta au Burkina Faso ont mené et ils ont, sans casse, conquis de nombreux acquis tant sur le plan politique que dans la satisfaction de leurs plates-formes revendicatives.
Les « diaspo » ont exporté des méthodes de lutte qui sont apparues, à un moment donné, dans un contexte politique précis, au sein de la Fédération des étudiants et scolaires de Côte-d’Ivoire (FESCI), créée en 1990. On « braisait » (brûlait) des étudiants d’autres courants politiques, des étrangers, des machettes avaient fait leur apparition sur les campus, les feux tricolores et les voitures étaient incendiés ou cassés, des bâtiments saccagés, détruits.
Ce comportement que les élèves et scolaires du Faso ont emprunté et dont on rend les « diaspos » responsables, conduit les plus extrémistes de nos concitoyens à déclarer qu’ils n’ont rien bâti et ils viennent détruire le travail de ceux restés au pays. L’important n’est pas de seulement fustiger et de condamner l’attitude de ces casseurs (qui ne sont pas exclusivement « diaspos »). Il faut aussi leur donner une formation politique et civique, leur apprendre l’histoire du mouvement scolaire et étudiant burkinabè dont ils ignorent tout, afin que leurs luttes soient menées de manière responsable et consciente. De nos jours, la FESCI elle-même a fait son autocritique, estime nécessaire de revenir à des formes convenables de revendication et rejette la violence qui était son principal mode d’expression. Ce n’est pas pour autant que la volonté de lutte des étudiants pour résoudre leurs problèmes serait émoussée. Au contraire, avec des formes plus responsables, ils ont plus de chance de rallier l’opinion publique à leur cause et d’avoir satisfaction.
C’est le lieu de dire à ceux qui déclarent que les étudiants travaillent sous leur drapeau, de prendre leurs responsabilités. Qu’ils leur donnent une formation solide qui en fasse des jeunes conscients qui savent ce qu’ils veulent et où ils vont. Les émeutes ne sont pas des formes appropriées de revendications. Celles-ci sont des défoulements dont les résultats sont généralement décevants tant en ce qui concerne l’aboutissement des revendications que l’élévation de la conscience militante. Quelle gloire peut-on tirer à incendier des immeubles, à casser des feux tricolores et des voitures ? A moins que ce qui est recherché n’est que la nuisance et le désordre. Oui, mais à quelle fin ? Déstabiliser le régime ? Conquérir alors le pouvoir ?
Dans ce cas, la réplique peut ne pas se faire attendre et l’issue des affrontements incertaine car, dans un Etat de droit réclamé à cors et à cris par certaines formations politiques, ce n’est certainement pas la voie à suivre. Elle n’approfondit pas la démocratie. Elle l’affaiblit au contraire, parce que source de désordre et d’anarchie. A moins que l’on estime que passer par les élections pour accéder au pouvoir est une voie réformiste et/ou difficile et la seule valable reste alors celle de la violence. Les jeunes dans ce cas ne sont que de la chair à canon que l’on manipule sans leur dévoiler les objectifs et les buts visés. C’est un crime politique parce qu’ils n’ont pas une conscience claire du rôle qu’on leur fait jouer.
Par ailleurs, les scolaires seraient-ils la principale force sociale sur laquelle ces formations politiques s’appuient dans leur combat politique pour le changement au Faso ? Il est temps que les élèves et étudiants sortent de ce piège qui ne les conduit nulle part. Que la nouvelle génération scolaire et estudiantine s’informe auprès des anciens pour connaître les conséquences néfastes de cette voie aventuriste que ces manipulateurs avaient fait suivre à leurs aînés. Ils doivent se prendre en mains, ne plus servir de bras séculiers à certaines formations politiques, mener des luttes qui les concernent effectivement et se départir de l’exécution des mots d’ordre qui sont loin de leurs préoccupations. Ceci ne s’adresse pas uniquement aux « diaspos », mais à l’ensemble de la jeunesse burkinabè, les élèves et étudiants en particulier.
Les « diaspos » face au regard des autres
Se sentant rejetés, les « diaspos » créent des associations du genre « les ressortissants d’Anoumabo », « d’Abengourou », « d’Aboisso », ou « d’Agniblékro ». Même les cours où ils habitent portent des noms qui leur rappellent la Côte-d’Ivoire : « La Sorbonne », « Le Château de Versailles », « Le Pentagone », « La Knesset », etc. La plus visible de ces associations est le « TOCSIN ». Quel danger menace ceux qu’on appelle « diaspos » pour que le tocsin soit sonné ?!
Ces associations et ces cours jouent plusieurs fonctions. Il s’agit tout d’abord de récréer des espaces de rencontre et de solidarité car certains « diaspos » ne disposent d’aucun contact dans les villes où ils sont. Elles leur permettent également de récréer un univers de leur passé récent, de faire la « cuisine du pays ». Ces espaces leur permettent, comme déclare un « diaspo », d’exister. Mais ces pratiques contribuent à renforcer chez les autres le sentiment que les « diaspos » sont des Ivoiriens ou qu’ils refusent d’être Burkinabè.
Tout se passe comme s’il régnait en leur sein une sorte de peur ou de la nostalgie. On dirait presque qu’ils sont des Burkinabè par défaut, qu’ils regrettent d’être retournés au pays et repartiraient vivre en Côte-d’Ivoire si l’occasion leur était donnée. Ce serait leur droit au demeurant, les textes des différentes organisations communautaires (UEMOA et CEDEAO) le leur permettent. Ce sentiment est exprimé par un étudiant en ces termes : « Voir des Burkinabè se dire ressortissants de Daloa, Soubré, Yamoussoukro ou Vavoua et en plus au Burkina ici, il y a un problème. Je n’ai jamais vu ces noms sur une carte du Burkina ». Ainsi, le communautarisme qu’ils pratiquent ajoute à la méfiance en leur endroit. L’impression que cela donne est qu’ils ne veulent pas du tout s’intégrer, qu’ils veulent vivre entre eux ou qu’ils nourrissent d’autres desseins. C’est pourquoi le même étudiant cité plus haut disait : « C’est parce qu’ils sont rejetés là bas qu’ils sont venus se réfugier ici ; s’ils n’avaient pas été contraints, ils ne seraient jamais venus ici…Si un jour la Côte-d’Ivoire leur reconnaît certains droits, travailler par exemple, vous verrez, ils repartiront ; le Burkina, pour parler comme eux, « c’est en attendant ». Les « diaspos » répliquent en ces termes : « Peut-on aller dans des associations de ressortissants des régions (du Burkina Faso) que nous ne connaissons pas ? Où l’on est vraiment étranger ! ». Il leur faut cependant aller vers les autres.
Les autres, les « tenga », « les zoblazo » comme ils les nomment, doivent eux aussi s’ouvrir aux « diaspos », les associer à leurs activités, bref, créer les conditions de leur intégration. Autant les « tenga » peuvent leur apporter quelque chose, autant ils peuvent apprendre des « diaspos ». Le subjectivisme qui alimente les relations entre les deux communautés est préjudiciable à l’ensemble de la société burkinabè.
Par exemple, le dynamisme de la culture burkinabè (la musique et le théâtre en particulier) leur doit beaucoup. Certains d’entre eux qui ont fait fortune à l’extérieur sont revenus investir au Burkina Faso, et ils sont légions. Ils créent des entreprises, des richesses et participent ainsi à la réduction du chômage des jeunes. Les gens n’imaginent pas le nombre de « diaspos » qui existent dans la haute fonction publique du pays. Ils tomberaient des nues si on leur disait que certains grands commis de l’Etat, dont les parents vivent toujours en Côte-d’Ivoire, sont donc « diaspos ». Leur comportement n’est pas celui que l’on prête d’ordinaire, à tort, aux frères revenus de Côte-d’Ivoire.
Conclusion
Les descendants des immigrés burkinabè se retrouvent écartelés entre une terre d’accueil qui ne les reconnaît pas comme les siens et un pays d’origine de leurs parents qu’ils ne connaissent pas et qui est supposé être le leur. En définitive, ces produits de la migration se retrouvent étrangers dans leur zone de naissance, citoyens de droit d’un pays qui ne les connaît pas, qu’ils ne connaissent pas ou pas assez, et qui à l’occasion leur renvoie leur altérité.
Il est temps d’abandonner la vision négative que l’on a de ces concitoyens. La perception qu’on a d’eux n’est constituée que de clichés. Bien sûr il existe de la mauvaise graine en leur sein. Mais quel camp n’en compte pas ? Il faut se faire à l’idée que chaque Burkinabè, quelque soit son origine, ses idées, son option politique et idéologique est un Burkinabè. Il ne faut demander à personne de n’être pas lui-même. Que chacun soit accepté avec ses spécificités et ses particularismes. La tolérance est la voie la meilleure pour la cohésion sociale au Faso. La diversité est un gage de richesse et peut servir de socle au développement du pays dans tous les domaines d’activités (économie, sport, culture, etc.)
Domba Jean-Marc Palm
Maître de Recherches
INSS/CNRST