Introduction
Une anecdote traduit de la manière la plus expressive, l’élection d’un Noir à la tête du plus puissant Etat du monde. Un jour, Dieu demanda au Pasteur Jesse Jackson de lui poser trois questions. La première requête du pasteur fut : « Avant ma mort, est-ce que je verrai un Juif président des USA ? Dieu lui répondit : bien sûr. La question suivante fut : verrai-je une femme présidente des Etats-Unis ? Bien sûr lui répondit le Seigneur. La troisième : un Noir deviendra-t-il président des USA ? Et Dieu de répondre : Moi vivant, jamais ! » Or, comme Dieu est éternel, cela signifiait qu’il était utopique de penser voir un jour, un Noir à la tête des USA. C’est pourtant ce qui arriva avec l’élection de Barack Obama.
En effet, au terme d’une campagne électorale trépidante, Barack Obama est élu, le 4 novembre 2008, 44e président des Etats-Unis d’Amérique. Ce président élu est un Noir, un Africain-Américain, le premier à accéder à la tête de l’Etat le plus puissant du monde, « l’hyperpuissance » américaine qui a pratiqué l’esclavage, la ségrégation raciale et où les luttes pour les droits civiques ont leurs martyrs comme Martin Luther King, Malcom X, pour ne citer que ces deux illustres personnalités.
L’accession d’un Noir à la présidence des USA, de manière démocratique, a une grande portée politique et constitue une source importante d’inspiration pour les peuples Africains.
L’importance du choix du peuple américain
Cette élection a un caractère révolutionnaire en ce sens qu’elle donne au monde entier un sentiment de changement, un regard nouveau des hommes sur le monde et sur eux-mêmes. Le choix de Barack Obama fait partie des grands évènements que le monde a connus :
*la découverte de la bombe atomique ;
*la fin de la Seconde guerre mondiale ;
*la création de l’Organisation des Nations Unies (ONU) ;
*la création de l’Etat d’Israël en 1948 ;
*le triomphe de la Révolution chinoise en 1949 ;
*la guerre froide et ses conséquences géopolitiques mondiales ;
*les indépendances des pays africains en 1960 ;
*la création de l’Organisation de l’unité africaine (OUA) en 1963 ;
*l’effondrement de l’URSS et la chute dur mur de Berlin en 1989 ;
*l’élection de Nelson Mandela en Afrique du Sud et la fin de l’apartheid politique dans ce pays ;
*la fin de la guerre froide.
Chacun de ces évènements, qui ne sont pas exhaustifs, a contribué à façonner le monde tantôt dans un sens négatif, tantôt dans un sens positif, avec son lot de drames, de tragédies, de bonheur et de progrès.
Le monde a ainsi connu et connaît des guerres comme le conflit coréen, les affrontements au Moyen-Orient entre Israéliens et Arabes, en Amérique latine et en Afrique. Ce continent, en dépit de relatifs progrès dans de nombreux domaines, doit relever de multiples défis aussi bien économiques, sociaux que politiques. C’est dans ce dernier domaine, particulièrement l’exercice de la démocratie, que le choix des Américains constitue une source d’inspiration pour le monde, les Africains en particulier.
La portée politique de l’élection
de Barack Obama aux USA
C’est tout d’abord dans l’histoire des USA que le choix porté sur Barack Obama occupe une place importante. La grande portée symbolique de son élection est qu’elle s’intègre dans l’histoire des luttes pour la cause des Noirs et des droits civiques en Amérique. Les larmes du pasteur Jesse Jackson expriment le mieux la satisfaction de voir l’aboutissement d’un combat que des milliers de Noirs ont engagé depuis longtemps. Il voyait là une victoire que beaucoup n’imaginaient pas qu’elle puisse arriver un jour, a fortiori si tôt, tant le chemin était semé d’embûches et les résistances très fortes.
En effet, après la guerre de sécession dont l’enjeu était l’abolition de l’esclavage et qui a vu la victoire des Etats du Nord hostiles à l’esclavage, les Etats du Sud ont instauré dès 1876, des lois dites Jim Crow créant la ségrégation raciale. Elles furent entérinées par la Cour Suprême des USA avec l’arrêt Ferguson en 1896 en formulant la doctrine « Separate but equal » (Séparés mais égaux). Ces lois permettaient de contourner les 13e et le 15e amendements de la Constitution qui abolissait l’esclavage et faisait des Noirs des citoyens américains.
C’est contre cette législation raciste que se sont engagées les luttes pour les droits civiques avec des hommes comme Marcus Garvey, Martin Luther King, etc., luttes qui s’intensifièrent à partir de 1955 avec le boycott des transports en commun à Montgomery. Elles aboutirent à l’abolition des lois Jim Crow en 1964 par le Civil Rights Act, soit quatre-vingt-huit (88) ans après leur adoption. Près d’un siècle de lutte. Cette loi sera complétée en 1965 par le Voting Act qui accordait le droit de vote aux Noirs. Mais le combat se poursuivit pour les faire respecter.
L’élection de Barack Obama est l’aboutissement de cette longue lutte. Cette victoire illustre le principe qui guide tous ceux qui luttent pour un idéal, pour une cause juste sans se soucier de savoir s’ils verront l’aboutissement, voire s’ils en seront eux-mêmes les bénéficiaires. C’est cette conviction qui a fait dire à Martin Luther King : « J’ai vu la Terre promise. Je ne peux pas y arriver avec vous mais, je voudrais que vous sachiez que nous en tant que Peuple, nous atteindrons la Terre promise ». Le combat obstiné des Afro-Américains pour leurs droits est une source d’inspiration pour les Africains.
Les leçons pour l’Afrique
La principale leçon que donne l’Amérique à travers cette élection est que le combat pour une cause juste n’est jamais vain, même si ceux qui le mènent n’en voient pas l’aboutissement. Les Africains doivent s’en inspirer plutôt que de sacrifier sur l’autel des besoins immédiats et des attentes personnelles.
La deuxième leçon est donnée par son challenger, MacCain qui a su déceler la portée historique du vote d’un Africain-Américain en s’inclinant devant le choix du peuple américain. En effet, les seuls Africains- Américains n’auraient pu à eux seuls faire élire un des leurs. L’attitude de son rival est une preuve de grandeur d’âme, une leçon d’éthique politique, celle d’un homme profondément pénétré des valeurs républicaines. Alors qu’en Afrique, de nombreuses élections connaissent des issues incertaines émaillées de contestations, de violentes manifestations et beaucoup de morts.
Les peuples africains se doivent de se mobiliser pour aller à l’essentiel, à ce qui les unit, à ce qui fait la grandeur et la solidité de leur communauté de vie afin de réaliser leurs espérances. Il ne faut pas que la démocratisation en cours sur le continent soit un retour aux années 1960 où des dictateurs confisqueraient le pouvoir en tolérant que des « fous du roi » s’agitent sur le terrain médiatique, partisan et syndical aux dépens du peuple. Mais, le vote des Américains, quel que soit son impact dans le monde, vise d’abord à trouver des solutions à leurs problèmes.
Les défis de la nouvelle administration américaine
L’élection de Barack Obama a suscité de grands espoirs dans le monde, pour preuve, le prix Nobel qu’il vient de recevoir. Cependant, en tant que président des USA, il ne peut gouverner que dans l’intérêt des Américains. C’est pour résoudre leurs problèmes qu’ils l’ont élu, surtout dans le contexte actuel de crise. Malgré tout, les avis de son administration sur les grands dossiers du monde sont attendus par les Etats et les peuples du monde entier, les USA n’étant pas n’importe quel pays.
Ces dossiers concernent tout d’abord la crise financière, que l’on compare à celle de 1929. Le bout du tunnel n’est pas encore visible et elle met en lumière les faiblesses du système financier international. Une des solutions qui se dégagent, est le retour de l’intervention de l’Etat dans les domaines financiers et économiques des pays. En tout état de cause, la crise impose de repenser le système économique et financier international. L’Afrique saura-t-elle mettre fin à sa marginalisation dans le système économique-mondial pour devenir un vrai partenaire économique ?
La paix est aussi un dossier brûlant du monde actuel. La nouvelle administration américaine pourra-t-elle résoudre les situations conflictuelles d’Irak et d’Afghanistan ? Trouvera-t-elle des solutions au conflit du Moyen-Orient qui dure depuis 1948 ? Pourra-t-elle permettre que les Palestiniens puissent enfin disposer d’un Etat à côté d’Israël ? Saura-t-elle résoudre le sujet de préoccupation que constituent la prolifération des armes nucléaires et, de manière générale, la question des armes de destruction massive ?
L’environnement est également une des grandes préoccupations de notre temps. Les Africains ont douloureusement vécu ses méfaits dans leur chair et dans leurs biens en cette année 2009. Les changements climatiques ont causé de nombreux drames dans les pays africains, notamment avec les inondations. Les USA, sous l’ère Obama, pourront-ils jouer leur rôle dans l’amélioration des conditions climatiques mondiales en réduisant leurs émissions de gaz à effet de serre ? Tels sont les défis que l’élu du peuple américain doit relever. L’Afrique a les siens propres à relever.
Les défis lancés à l’Afrique
Ces défis concernent l’Afrique qui en a de spécifiques. En effet, l’Afrique doit œuvrer à l’édification d’un Etat de droit légitime, stable dans lequel les populations se reconnaissent. Il leur faut aussi marcher résolument vers l’unité du continent. Les seuls attachés à la souveraineté que constituent les Etats postcoloniaux sont les chefs d’Etat. Les peuples africains se jouent des frontières héritées de la colonisation. Le morcellement du continent en micro-Etats est un facteur de vulnérabilité, de faiblesse. Au plan national, les capitaux sont rares et les marchés trop restreints pour soutenir des projets d’investissements de grande envergure, même s’il existe des possibilités d’apport extérieur.
Le défi est aussi économique parce que les Africains doivent recréer une économie solidaire, redécouvrir la valeur des produits locaux, maîtriser leur transformation sur place, pourvoir ainsi aux besoins des populations par des recettes travaillées sur place et conquérir des marchés extérieurs.
Le défi est également scientifique et technologique. Les Africains doivent devenir des créateurs en utilisant les connaissances du terroir pour inventer des produits à mettre au service des populations. Il leur faut aussi créer des outils adaptés à leurs besoins et maîtriser par les utilisateurs. Dans la même logique, les Africains doivent changer de mentalités en n’étant plus de simples consommateurs, mais en devenant des producteurs.
Il s’agit in fine d’édifier un idéal politique qui convainc le peuple qu’il est maître de son sort et qu’il peut l’améliorer par des moyens dont il a éprouvé l’efficacité pour les avoir expérimentés. En d’autres termes, l’Afrique doit être capable de créer les bases matérielles et immatérielles de son développement.
De manière générale, les autorités au pouvoir refusent de le céder par la voie des urnes. Tout est mis en œuvre pour le conserver. Les fraudes, les manipulations électorales sont massivement pratiquées dans presque tous les pays. Dans de telles conditions, les consultations électorales au lieu de renforcer la légitimité des élus, conduisent à l’illégitimité des gouvernants et discréditent la démocratie elle-même.
En outre, le multipartisme n’a pas engendré un minimum de consensus autour des institutions. Les rapports entre opposition et pouvoir tournent toujours au bras de fer, faisant de toute crise, celle du régime. Dans cet affrontement, il y a peu de place pour les débats d’idées. Ceux-ci sont généralement remplacés par le choc des ambitions des différents acteurs. L’attitude de l’opposition, qui bien souvent ne propose pas un programme alternatif, donne l’impression que son souci majeur est de chasser les hommes au pouvoir et de prendre leur place, selon le principe « ôtes toi que je m’y mette ». Tout cela ne permet guère un véritable débat sur la gestion des affaires publiques. La crise de gouvernance est omniprésente et se traduit par l’incapacité des autorités à sortir du système de prébendes et de pillages des ressources de l’Etat par les détenteurs des postes de responsabilité où la préséance est accordée aux « protections » et aux « recommandations » sur la compétence.
Une telle situation ne favorise pas l’adhésion des peuples africains aux actions des hommes politiques. Il faut dire que ces peuples ont toujours eu une perception négative de l’Etat colonial et postcolonial qui est trop éloigné de leur organisation sociale et politique traditionnelle. Le risque est grand que l’Afrique, après la démocratisation des années quatre-vingt-dix, ne retombe dans les travers des premières années des indépendances.
L’élection d’un Africain-Américain est aussi la preuve que sans un idéal à défendre, sans la conviction et sans la persévérance dans la lutte pour une cause juste, aucune victoire n’est possible. Cela implique la confiance en soi en tant qu’être humain mais aussi en tant que peuple.
Elle indique enfin que la réalisation des espérances des peuples passe nécessairement par leur forte mobilisation autour d’idées qu’ils s’approprient et se battent pour les faire aboutir. Les Africains seront à la hauteur de cet événement historique s’ils continuent la lutte pour le renforcement de la démocratie sur le continent, s’ils se départissent des vieux démons du tribalisme, du régionalisme, de la xénophobie pour marcher résolument vers l’unité africaine. Il s’agit simplement d’élargir la base sociale du développement afin d’en faire l’affaire de tous (jeunes, vieux, hommes, femmes, monde urbain et rural, communautés de base et directions administratives et politiques). Cette sensibilisation et cette mobilisation ne peuvent réussir que si la liberté de pensée, de la parole et la suppression des mécanismes de paralysie de la créativité des individus et des communautés sont effectives.
Conclusion
L’élection de Barack Obama indique le tournant politique historique amorcé dans le monde. Elle interpelle surtout les Africains à relever les défis qu’ils doivent affronter dans les domaines politiques, économiques, sociaux et culturels pour un mieux-être des peuples. Les intellectuels du continent sont, plus que toute autre personne, concernés par la situation que vit l’Afrique. Il est temps qu’ils s’engagent pour la réalisation des aspirations de l’immense majorité des populations.
Face aux joutes politiques qu’ils livrent, affrontements aux conséquences souvent dramatiques pour les populations, il leur faut impérativement comprendre que la démocratie est un processus dans lequel on bâtit pour l’avenir et non pour le lendemain et adopter une pratique politique en conséquence n
Domba Jean-Marc Palm
Maître de recherche
INSS/CNRST