L’Algérie a commémoré en cette année 2012, le cinquantenaire de son accession à la souveraineté nationale et internationale. C’est le 05 juillet 1962, que fut proclamée l’indépendance de l’Algérie, après sept ans d’une guerre longue et meurtrière qui fit près d’un million de morts. Dans cette commémoration, la création du Gouvernement provisoire de la République algérienne (GPRA) semble de plus en plus oubliée. Pourtant, le 19 septembre 1958, date de la naissance du premier gouvernement algérien, a été un évènement important dans la lutte de libération nationale déclenchée le 1er novembre 1954. Elle peut être considérée, en importance, comme la troisième date après le 20 août 1955, date de la généralisation de l’insurrection dans le Nord Constantinois et le 20 août 1956, date de la tenue du congrès de la Soummam. Pourquoi et comment le FLN en était-il venu à créer le GPRA ? Pourquoi l’indifférence actuelle vis-à-vis d’un organe qui a été un élément clé dans l’accession du pays à l’indépendance ?
La Direction de la lutte en novembre 1954
En lançant la lutte armée le 1er novembre 1954, le Front de libération nationale (FLN), avait théoriquement recensé les principaux problèmes relatifs à l’organisation de la lutte :
Au plan politique, définition d’un programme consigné dans l’appel du 1er novembre ;
Au plan militaire, découpage territorial de l’Algérie en cinq zones opérationnelles ;
Au plan organique, désignation de cinq chefs de zones et de leurs adjoints (Rabah Bitat, Larbi Ben M’hidi, Didouche Mourad, Mostefa Ben Boulaïd, Krim Belkacem).
Mohamed Boudiaf, le sixième homme, avait été désigné coordonnateur. Mais, il était difficile de dire quel était son rôle réel. Etait-il chargé de la coordination entre les cinq chefs de l’intérieur ou entre ceux-ci et les trois responsables chargés de représenter le FLN à l’extérieur ? Ce fait n’était pas étonnant dans la mesure où la direction de la lutte était assurée de manière collégiale. Aucune personnalité n’a été désignée à la tête de la Révolution, afin qu’il n’y ait aucune prééminence d’un des dirigeants sur les autres.
Le congrès de la Soumman (1956)
Le congrès de la Soumman est un des tournants de la Révolution algérienne. Ce congrès où se retrouvèrent les principaux dirigeants, en nombre réduit (Ben M’hidi, Abane, Krim Belkacem, Zighoud, Ouamrane, Bentobba), passa en revue les différents aspects de la lutte :
Les aspects idéologiques de la charte politique ;
Les aspects stratégiques d’organisation militaire ;
La structuration du FLN en structures nationales de commandement en lieu et place des structures régionales.
C’est ainsi que fut créée une instance souveraine supérieure, le Conseil national de la Révolution algérienne (CNRA) de 34 membres (17 titulaires et 17 suppléants) et un Comité de Coordination et d’Exécution (CCE) de 5 membres (Ben M’hidi, Abane, Benkhedda et Dahlab), chargé de la conduite des actions décidées par le CNRA. Ici également, le principe de la direction collégiale prévalut. Aucun responsable ne fut désigné formellement pour diriger la structure.
Des délégués furent envoyés dans toutes les wilayas (régions) pour expliquer les décisions du congrès et régler des problèmes en suspens, comme le remplacement du chef de la wilaya 1, Mostefa Boulaïd, décédé en mars 1956. Pour l’essentiel, le CCE fut confiné à Alger.
Mais son action porta si bien qu’elle obligea la France à déclencher la bataille d’Alger, où toutes les armes de la répression furent utilisées, notamment la torture. De nombreux chefs locaux y furent tués ou arrêtés. Après l’arrestation et l’assassinat de Larbi Ben M’hidi, le CCE dut s’exiler en mars 1957 au Caire. Ce fut le début de la contestation et du CNRA, du CCE et des orientations prises au congrès de la Soumman. Pour résoudre la crise, la décision de tenir une autre réunion fut arrêtée.
La rencontre du Caire (1957)
La nouvelle réunion du CNRA se tint au Caire. Sur 17 membres titulaires, seuls huit étaient présents. Ne disposant pas du quorum requis (12), on dut se résoudre à accepter les membres suppléants présents et à coopter cinq personnes pour la circonstance (Houari Boumedienne, Mahmoud Chérif, Mohamed Larmouri, Amara Bouglez, Amar Benaouda).
La réunion se tint du 20 au 28 août 1957, et prit les décisions suivantes :
Rapporter les principes précédemment adoptés, notamment la primauté de l’intérieur sur l’extérieur et du politique sur le militaire ;
Elargir la composition du CNRA de 34 à 54 membres, tous titulaires en y incluant de droit de chaque chef de wilaya et ses trois adjoints ainsi que les responsables des fédérations FLN de France, du Maroc, de Tunisie et de la Base de l’Est ;
Désigner un CCE de neuf membres (Krim, Bentobbal, Boussouf, Mahmoud Chérif, Ouamrane, Abane, Ferhat Abbas, Lamine Debaghine, Mehri) auxquels furent joints les cinq détenus en France (Ben Bella, Boudiaf, Aït Ahmed, Lacheref et Khider) dont l’avion fut détourné par les Français en 1956.
Apparemment, le nouveau CCE paraissait plus cohérent. Mais, la remise en cause des principes du congrès de la Soumman ne fut pas du goût de tous, en particulier d’Abane Ramdane qui dirigeait le premier CCE. Forte personnalité, il ne souffrait pas de jouer les seconds rôles. Aussi s’opposa-t-il régulièrement et de manière violente à ses pairs. Le conflit se solda par un dénouement malheureux. Il fut assassiné en décembre 1957. La crise dura quelques mois et finit par s’estomper. Le nouveau CCE s’organisa et se répartit les tâches en avril 1958.
Au plan interne, le manque d’armes se faisait cruellement sentir et jouait sur le moral des combattants. De gros efforts furent faits par le commandement militaire pour approvisionner l’intérieur en armes venus des pays amis, notamment de la Tunisie à l’Est. Cela permit des opérations militaires de grande envergure qui poussèrent les Français à bombarder la ville frontalière tunisienne de Sakiet Sidi Youcef, créant un incident diplomatique grave avec la Tunisie.
Au plan externe, le FLN déploya une intense activité diplomatique. C’est ainsi qu’il prit part à la conférence de Monrovia au Liberia et d’Accra, au Ghana, où se jouait l’avenir de l’Afrique en quête d’émancipation. Déjà en 1955, six mois après le déclenchement du conflit, le FLN participait à la Conférence afro-asiatique de Bandoeng en Indonésie. La question algérienne s’internationalisait ainsi.
Le développement de la lutte en Algérie et l’engagement du peuple algérien eurent des répercussions en France. Cela s’est traduit par une grande instabilité gouvernementale. Quatre gouvernements se succédèrent en quelques mois pour aboutir à l’effondrement de la IVe République. Ce succès diplomatique encouragea le FLN qui intensifia son action sur le plan international.( …).
Le retour du général Charles de Gaulle aux affaires, suite aux évènements du 13 mai à Alger, créa une situation nouvelle. Il décida de réduire l’action du FLN, tant sur les plans militaire que politique. Pour ce faire, il annonça l’intégration des trois départements algériens à la France dans le cadre d’une relecture de la Constitution envisagée. Il entreprit de contrecarrer l’action du FLN au Maroc et en Tunisie, avec quelques succès.
Le FLN répliqua en portant la guerre en France même et par la création d’un gouvernement. L’appellation Gouvernement provisoire de la République algérienne fut préférée à Gouvernement algérien en exil. (….)
Le GPRA connut un franc succès. Presque tous les pays de la Ligue arabe le reconnurent. Il en fut de même de la Chine, du Pakistan, de l’Indonésie et de quelques pays africains indépendants comme le Ghana. En Europe, la Yougoslavie et l’URSS le reconnurent également. Au total, au bout de quelques mois, 31 pays avaient reconnu le GPRA. Comment cet organe se comporta-t-il après un tel succès diplomatique et politique ?
Le GPRA en action
Le Gouvernement provisoire reprit les tâches du CCE, à savoir : gérer le quotidien, mettre en œuvre les décisions du CNRA, renforcer les moyens de lutte de l’ALN en armes et en hommes, travailler à une mobilisation toujours plus grande des militants et de la population, battre en brèche l’argumentaire de l’ennemi, mener une action diplomatique vigoureuse pour faire mieux connaître la cause algérienne et susciter un soutien toujours plus grand à l’ONU.
Pour ce faire, le gouvernement entreprit de nombreux voyages à l’étranger. Les bureaux du FLN devinrent des missions diplomatiques. Dans de nombreux fora, les délégations algériennes étaient admises en qualité de membre et non plus comme observateur. L’aide financière, matérielle, surtout en matière d’armement affluait, venant des pays amis (Chine, Tchécoslovaquie, Yougoslavie, URSS).
Le succès et l’approche de la victoire ravivèrent les ambitions des différents responsables ( …)
Le CNRA, réuni du 18 septembre au 08 janvier 1959, renouvela à Ferhat Abbas sa confiance à la tête d’un exécutif plus réduit et créa un état-major unifié de l’ALN, confié au colonel Boumediene, ainsi qu’un comité interministériel de la guerre composé de trois ministres, Krim, Bentobbal et Boussouf.
La France, dans la même période, développa des manœuvres pour déstabiliser la Révolution. Le nouveau chef de gouvernement, de Gaulle, intensifia la lutte contre l’ALN, fit des promesses de développement alléchantes, tenta de créer une troisième force politique, la 3e force ou le Front algérien d’action démocratique. Il tenta aussi d’exploiter les malentendus entre les forces intérieures et extérieures, de proposer la « paix des braves » à des officiers de la wilaya IV en 1960. Son action qui porta le plus de fruit fut l’électrification des frontières tunisiennes et marocaines qui priva les combattants de l’intérieur d’armes. Toutes ces manœuvres ayant échoué, le général se vit dans l’obligation de discuter avec le FLN, seul interlocuteur légitime du peuple algérien.
Les pourparlers
Le processus de négociations s’accéléra avec les succès diplomatiques enregistrés par le GPRA, notamment à l’ONU. En août 1959, l’organisation internationale enregistrait une nouvelle proposition de résolution déposée par le groupe afro-asiatique très favorable aux thèses algériennes. Elle recommandait la reconnaissance du droit du peuple algérien à l’autodétermination et à l’indépendance. Devant le risque de revers politique et diplomatique, de Gaulle annonça le 16 septembre 1959, l’organisation d’un référendum du peuple algérien sur son sort, quoique ni la date ni le contenu des questions auxquelles le peuple devait répondre n’étaient précisés. Le président du GPRA, qui dès sa prise de fonction avait indiqué la disponibilité du FLN à rechercher une solution politique reçut favorablement la proposition française.
La rencontre entre les délégations française et algérienne se déroula à Melun en mai 1960. Elle ne donna rien. L’engagement du peuple algérien, qui manifesta pour soutenir le GPRA comme son seul et légitime représentant, contraint de Gaulle à reprendre les discussions en Suisse, à Evian, en mai 1961. La question du Sahara fit échouer cette deuxième rencontre. Après cette suspension, le GPRA renoua avec les tensions en son sein. Krim, candidat malheureux à la présidence du GPRA, brigua à nouveau ouvertement cette fonction. La crise fut résolue par une réunion du CNRA qui procéda à un remaniement de l’exécutif avec une équipe dirigée par Youcef Benkhedda. Le nouveau président, tout en défendant les acquis de l’ancienne direction, privilégia l’action politique dans le respect des principes fondamentaux du mouvement.
L’ambiance était également alourdie par les manœuvres du colonel Boumediene. Celui-ci, fort des succès remportés dans sa mission de fédérer les chefs militaires, se mit à chercher des alliés hors du GPRA, en vue des échéances à venir, notamment les choix idéologiques liés au devenir de la Révolution.
Cette atmosphère a prévalu pendant toute la période de négociations secrètes du GPRA avec les Français. Celles-ci reprirent en février 1962, de manière officielle, et se soldèrent par des accords de principe sur la presque totalité des dossiers. L’avant-projet d’accord fut soumis au CNRA qui l’adopta par 45 voix contre 4. Une dernière réunion officielle se tint à Evian le 10 mars 1962 et les accords définitifs furent signés le 18 mars 1962 avec décision de cessez-le-feu le 19 mars 1962 à 12 heures. Le GPRA, malgré les problèmes internes et extérieurs, venait de couronner de succès le long et pénible combat du peuple algérien en obtenant satisfaction sur l’ensemble des objectifs assignés à la Révolution et consignés dans l’appel du 1er novembre 1954 :
L’indépendance totale ;
L’unité nationale ;
L’intégrité territoriale ;
La pleine souveraineté de l’Etat algérien sur ses richesses naturelles.
Avec la victoire, les ambitions se firent jour à nouveau. Les points de divergence concernaient la tutelle de la Révolution et les orientations idéologiques et politiques à appliquer. Ce qui était en jeu était le projet de société à proposer au peuple. Les tendances suivantes s’affrontaient :
Les libéraux avec Benkhedda, curieusement soutenu par Boudiaf, le révolutionnaire pur et dur ;
Les Révolutionnaires incarnés par Boumediene, Ben Bella, qui, contre toute attente, furent appuyés par Ferrat Abbas et Khider.
Ces derniers reprochaient à la direction de s’être écartée de la voie révolutionnaire et demandaient le remplacement du GPRA par un bureau du FLN. Les membres du GPRA quittèrent la salle, suivis de Boudiaf et d’Aït Ahmed qui considéraient le GPRA, signataire des accords d’Evian, le garant de leur application jusqu’à l’indépendance. Sa disparition risquait d’ouvrir la porte à toutes les dérives. Le 1er juillet 1962, le peuple algérien votait massivement le choix de l’indépendance et le 5 juillet, l’indépendance de l’Algérie était proclamée (….) Le GPRA a été un des organes importants de la lutte de libération du peuple algérien. Il a permis aux combattants algériens de conduire à bon port la lutte déclenchée le 1er novembre 1954, avec le vote en faveur de l’autodétermination du peuple suivi de l’indépendance proclamée le 5 juillet 1962, malgré les difficultés des dirigeants à s’unir à l’approche de la victoire.
Domba Jean-Marc Palm
Maître de recherche
INSS/CNRST