Après l’effondrement d’une école de trois classes, en mai dernier, dans la commune de Dandé (Hauts-Bassins) ayant occasionné une perte en vie humaine et vingt-quatre (24) blessés parmi les élèves, l’opinion a encore assisté, le 31 août, à scène tragique à l’Université Norbert Zongo (UNZ) de Koudougou. Ce jour là, la dalle d’un bâtiment en construction s’est effondrée, tuant quatre personnes dont un ouvrier et trois étudiants. De ce drame, deux dimensions paraissent importantes à souligner.
De graves défaillances dans l’exécution du chantier
La première se rapporte à la mauvaise exécution des marchés publics dans le secteur des infrastructures. Du reste, certains témoignages font ressortir des imperfections techniques sur le chantier de la cité universitaire 1008 lits, qui laissent à leur tour entrevoir de graves manquements dans certains maillons de la chaîne. Le site du quotidien d’Etat Sidwaya, s’appuyant sur un spécialiste du BTP, témoin du drame, souligne la faible dimension du ferraillage pour deux poteaux en façade. Ce qui, visiblement, ne pouvait pas supporter la charge du béton de la dalle. « Dans les normes, les dimensions des poteaux d’une dalle sont définies en fonction de la masse de béton à supporter, de sorte qu’on peut avoir des poteaux de 40cm/40cm, 60/60, 80/80, mais dans le cas de la dalle qui s’est effondrée, il n’y avait aucune proportionnalité entre le béton et les poutres 1»,précise le spécialiste.
Ces propos viennent corroborer les témoignages d’un étudiant en génie civile, présent sur les lieux du drame, recueillies par Libreinfo.net : « Un maçon même aurait démissionné parce qu’il trouvait que le dosage n’allait pas tenir. Il y a eu un deal à quelque part. 2» A l’analyse, plusieurs responsabilités peuvent être pointées du doigt dans cette affaire dramatique. Outre l’entreprise Suzy Construction chargée de l’exécution des travaux de construction, on peut évoquer le Laboratoire national du Bâtiment et des Travaux publics (LNBTP) chargé du contrôle de la qualité du matériel utilisé, le Bureau Véritas chargé du contrôle technique et Sata Afrique chargé de l’étude technique.
A en croire certaines sources, des réunions de coordination se tenaient régulièrement sur le site, entre Suzy Construction, le LNBTP et le Bureau Véritas, pour s’assurer du bon déroulement des travaux. Alors, que s’est-il passé pour que ces défaillances relevées n’aient pas été découvertes plus tôt, afin de prévenir ce drame ? Suzy construction a-t-elle respecté toutes les prescriptions techniques ? Les défaillances s’expliquent-elles par une complicité des trois acteurs ? La faute revient-elle à Sata Afrique chargée de l’étude technique ? Autant de zones d’ombre qui méritent d’être éclaircies pour situer l’opinion. C’est bien que le ministre Alkassoum Maïga ait pris un engagement dans ce sens, lors de son déplacement à Koudougou pour constater l’ampleur du drame. Il ne reste plus qu’à espérer que ce ne soit pas une promesse de plus, sans aucune suite. Le Parquet du Tribunal de Grande instance de Koudougou a, lui, aussi ouvert une enquête pénale pour les faits de présomption d’homicidesvolontaires. Un acte salutaire du Procureur que le REN-LAC soutient. Il l’encourage à aller au bout de l’instruction pour mieux élucider cette tragédie.
Des attributions pas toujours transparentes
La seconde dimension est relative au manque de transparence qui caractérise, parfois, l’attribution des marchés publics. Le ministère de l’Enseignement supérieur, de la Recherche scientifique et de l’Innovation, s’est fendu d’un communiqué, le 10 septembre, pour se défendre des allégations tendant à remettre en cause la transparence dans le processus de désignation des attributaires de ce marché. Néanmoins, certains faits laissent perplexe. « Le partenaire financier du projet, la Banque islamique de Développement, a donné ses conditions : des entreprises de son pays, l’Arabie Saoudite, doivent avoir leur part du gâteau. Le gouvernement s’est soumis à cette volonté. Mais pour satisfaire cette exigence de la BID, il a contourné la règlementation burkinabè à travers une gymnastique pour masquer le jeu 3», renseigne Courrier confidentiel.
Le journalise fonde sur la procédure exceptionnelle de l’appel d’offres international restreint aux entreprises africaines et arabes, utilisée par le ministère dans la passation de ce marché. Pourtant, la raison invoquée généralement pour avoir recours à ce type de procédure est le nombre limité des entreprises capables de réaliser les travaux demandés. Une telle configuration ne se présente pas dans le secteur du BTP où le Burkina Faso regorge de plusieurs entreprises compétentes. Pourquoi avoir donc recouru à cette procédure dans un contexte de rude concurrence ? Il aurait été judicieux que le ministère apporte une réponse claire à cette question pertinente dans son communiqué.
Recours infructueux auprès de l’ARCOP
D’ailleurs, l’attribution de ce marché avait fait l’objet d’un recours auprès de l’Autorité de Régulation de la Commande publique (ARCOP) de la part d’un concurrent de Suzy. Construction et son partenaire saoudien. Le requérant s’étonnait du pourcentage « trop élevé » de la remise financière consentie par l’entreprise bénéficiaire. Par exemple, pour la réalisation du bâtiment dont la dalle s’est effondrée, la remise se chiffrait à 998 000 000 F CFA pour un coût total évalué par Suzy Construction à 7 392 002 035 F CFA. Qu’il ait été débouté de sa requête, parce qu’« aucune disposition règlementaire ne permet [à l’ARCOP] de rejeter une offre au regard du taux élevé de rabais consenti », ne signifie nullement que le recours n’est pas légitime voire techniquementfondé. Sans trop polémiquer sur cet aspect, on peut simplement observer que Suzy Construction avait été attributaire des travaux de réalisation du Stade régional de Tenkodogo, dans le cadre des festivités du 11 décembre 2019. L’on se rappelle que la toiture de cet édifice a été emportée par la pluie, avant même sa réception. Au surplus, Suzy Construction a en charge plusieurs autres travaux de construction en souffrance.
Mettre fin à l’impunité
Survenus en l’espace de quatre mois, les drames de Dandé et de Koudougou ne sont que la face visible d’une gestion « mouta mouta 4» au sommet de l’Etat, sept ans après l’insurrection populaire d’octobre 2014. Alors que cet évènement, de portée historique, était censé instaurer la rupture avec les pratiques anciennes, l’on constate amèrement que les tenants actuels du pouvoir n’ont retenu aucune leçon des exigences citoyennes en matière de gouvernance vertueuse. Autrement, l’on ne saurait comprendre ces écroulements récurrents d’édifices publics dont de nouvelles bâtisses. Réalisées à coût de sommes colossales au frais du contribuable, ils sont nombreux à avoir cédé sous l’effet des intempéries. En juin dernier, le ministre de l’Education nationale, de l’Alphabétisation et de la Promotion des Langues nationales avait estimé à 110 le nombre d’infrastructures scolaires endommagées par les intempéries, depuis le début de l’hivernage.
La majorité (65%) avait une durée de réalisation de moins de vingt ans. Le ministre lui-même dénonçait la mauvaise qualité, la mauvaise implantation, le non-respect de la réglementation et le manque de suivi contrôle lors des travaux de construction. A ces causes, il faut ajouter la corruption et l’impunité dont bénéficient les acteurs de la chaîne. Au constat, les mécanismes actuels de régulation de la commande publique se révèlent inefficaces. Conséquence : des marchés sont attribués en rusant avec les procédures et des entreprises les exécutent en trichant avec les règles. Quant aux bureaux de contrôles, l’on est tenté de croire qu’ils ne sont présents que pour la forme. De sorte qu’en cas de dégâts ou de drame, personne n’est tenu pour responsable. Bien que la loi prévoit la répression de la corruption dans la commande publique avec des peines d’emprisonnement de 5 à 10 ans et des amendes comprises entre 2 000 000 et 10 000 000 FCFA, les moyens d’établissement de la preuve restent limités.
Aussi apparait-il important d’engager de facto la responsabilité des acteurs de la chaine, dès lors qu’un écroulement survient, en érigeant la mauvaise exécution des marchés publics en infraction lourdement punissable. Lorsque la législation évoluera dans le sens de mettre systématiquement en examen les différents responsables des bureaux de contrôle, des entreprises d’exécution et l’autorité contractante y compris les ministres, les choses bougeront véritablement dans le bon sens. En temps qu’usager et bénéficiaire de ces infrastructures, le citoyen devrait exercer un droit de regard permanent sur le secteur à travers des organisations indépendantes crédibles et combatives. Il est temps de mettre fin à cette corruption et cette impunité qui gangrènent la commande publique, afin d’éviter d’autres situations plus dramatiques. Cela y va de la vie des Burkinabè
Le secrétariat exécutif