Mesdames et messieurs les journalistes,
Les organisations professionnelles des médias vous souhaitent la bienvenue au Centre national de presse Norbert Zongo. Elles vous expriment leur gratitude pour votre mobilisation si spontanée au regard des circonstances notamment de temps et de pression dans lesquelles cette invitation vous a été adressée. A notre décharge, cette conférence de presse express se voulait urgente car elle fait suite à une décision aussi surprenante que précipitée prise par le Gouvernement en Conseil des ministres d’hier mercredi 04 octobre 2023. Comme vous l’avez sans doute constaté dans le compte rendu du conseil des ministres, il ressort qu’au titre du Ministère de Justice et des Droits humains, chargé des Relations avec les Institutions, le conseil a adopté un projet de loi portant attributions, composition, organisation et fonctionnement du Conseil supérieur de la communication (CSC). Toujours selon le rapport du conseil des ministres on apprend que les innovations majeures portent notamment sur l’élargissement du champ des compétences et des attributions du Conseil supérieur de la communication, la fixation de profils obligatoires pour la désignation des membres du Collège des conseillers et le chargement du mode de désignation du Président du CSC ». Enfin le rapport mentionne que « Le Conseil a marqué son accord pour la transmission dudit projet de loi à l’Assemblée législative de Transition ».
Mesdames et messieurs les journalistes,
Faut-il encore le rappeler, l’adoption de ce projet de loi intervient dans un contexte politique (la transition militaire) où le Gouvernement s’est illustré depuis plusieurs mois par une intrusion jamais égalée dans le champ de la régulation des médias. En effet, le gouvernement de la Transition a suspendu les médias étrangers RFI, France24, LCI ; une radio nationale en l’occurrence Oméga Fm. La dernière victime a été le journal Jeune Afrique suspendu jusqu’à nouvel ordre pour avoir alerté sur une tentative de coup d’Etat alors que 48h seulement après cette décision, le gouvernement lui-même viendra confirmer la tentative de coup d’Etat et procéder même à des arrestations de présumés coupables. Ce contexte à lui seul devrait suffire pour nous convaincre des intentions réelles du gouvernement dans ce projet de relecture de la loi organique sur le CSC mais les Organisations professionnelles des médias étaient loin d’imaginer que le gouvernement nous ramènerait dans un recul aussi profond dans les régimes répressifs du temps des partis-Etat.
En effet, le projet de loi en cours est une négation totale du régime de la liberté de la presse. Conformément à ce que le gouvernement nous donne à voir en ce moment, sa volonté affichée est de se substituer au régulateur ou de placer le CSC sous son autorité. La preuve évidente, c’est l’annonce du changement du mode de désignation du Président du CSC. La loi organique N°015-2013/AN du 14 février 2013 prévoit à son article 28 que « Le Président du Conseil supérieur de la communication est élu par ses pairs et nommé par décret du Président du Faso […]. Le Président est secondé par un Vice-président élu par ses pairs. Il assure l’intérim en cas d’empêchement momentané du Président ». C’est dire donc que depuis une décennie déjà, le président du CSC était élu par ses pairs conseillers. Le pouvoir du MPSR qui a atteint un niveau critique en matière d’atteinte à la liberté d’expression et de la presse prévoit désormais, selon le projet de loi en cours, que (article 22 du projet) : le CSC est placé sous l’autorité et la responsabilité d’un Président. Le Président du CSC est nommé par décret du Président du Faso parmi les membres du Conseil. Une fois nommé, le Président exerce ses fonctions jusqu’à épuisement de son mandat de conseiller sous réserve des dispositions de l’article 24 de la présente loi. Le Président est adjoint par un Vice-président qu’il désigne parmi les conseillers… ».
En plus donc de ses trois représentants, le Président de la Transition va désigner le Président du CSC. Il gagne donc le beurre et l’argent du beurre.
Mesdames et messieurs les journalistes !
Nous osons espérer que cela ne passera pas. Nous avons fait en partie notre part. Nous avons été à l’atelier du ministère de la Communication pour dénoncer ces dispositions anti-liberté. Nous avons été au Coteval pour les dénoncer.
Maintenant, nous regardons les Burkinabè, qui se rappellent certainement de ce que la loi organique N°015-2013/AN du 14 février 2013 n’était pas donnée. Cela a été le résultat d’un long combat. Et c’est le lieu de rendre hommage à tous les aînés dont les sacrifices ont permis de faire du Burkina Faso un pays de liberté. Nous interpellons les députés de l’Assemblée législative de la transition. Il faut qu’ils se rappellent que les transitions sont des moments de grandes réformes et non des moments de reculs démocratiques. La Transition de 2015 nous a légué des lois progressistes en matière de lutte contre la corruption et aussi de liberté de presse. C’est avec la Transition de 2015, que le Burkina a adopté la déprisonalisation des délits de presse. Au regard de ce qui se profile, la Transition actuelle ne réserve que de douloureux souvenirs pour le monde des média et pour les Burkinabè en matière de liberté. En ce moment précis, les Burkinabè attendent que les acquis démocratiques soient consolidés et non jetés à la poubelle. C’est pourquoi nous lançons un appel aux plus hautes autorités de la Transition notamment au Premier ministre, l’avocat Me Kyelem de Tambela, au Président de l’Assemblée nationale, le Dr Ousmane Bougma, et surtout au Président de la Transition, le Capitaine Ibrahim Traoré. En tout état de cause les organisations professionnelles des médias continueront à se mobiliser et à se battre pour la préservation des acquis démocratiques et particulièrement pour la défense de la liberté d’expression et de la presse.
Je vous remercie.